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Souvenirs d'un instituteur(9)

Souvenirs d'un instituteur(9)




Enfin les vacances!

Par Youssef el Ansari
Traduit par Mostapha Lotfi Glillah
À l'approche des vacances, les journées s'allourdaient. Elles devenaient très longues. Elles s'obstinaient à ne pas partir. Sur mon petit calepin où je notais tout:la préparation des fiches, le registre des absences et tout ce que mon imagination fertile s'était crée :poésie, prose, prose poétique ou le zajal (une forme de poésie écrite en Arabe dialectal. Cette poésie authentique du Maroc constitue le répertoire principal de Malhoun, un genre artistique très apprécié dans la partie arabophone de ce pays à cheval sur la Méditerranée et l'océan Atlantique) (NdT). Sur ledit calepin, j 'avais improvisé un calendrier où je comptais les jours restant pour ces vacances tant attendues. Chaque jour que le bon Dieu avait fait, je me réveillais et je me dirigeais comme un automate vers le calepin. Je sautais dessus
avec une grande envie et je barrais la journée qui venait de s'écouler. Je me replongeais dans le calepin. Je réexaminais minutieusement, les yeux grand ouverts, les journées restantes. Je les comptais, je les recomptais des fois et des fois. Parfois, l'incertitude m'envahissait, je recourrais à mes doigts et pour tenir le doute en échec, je recourrais aux quatre opérations. Je soustrais les journées passées des journées du mois et je me servais de l'addition, la multiplication, la division(une curieuse façon pour dompter les maths dans ces coins perdus) (NdT) .Je réinventais des problèmes mathématiques dont la problématique unique était :combien de jours restaient pour les vacances?. En d'autres mots, il restait combien du temps et ce pauvre enseignant irait quitter le douar?
La nostalgie pour les vacances rappelait le désir inassouvi d'un nourrisson pour le sein maternel et que la mère venait de server. Le pauvre bébé pleurait à tue-tête, pleurait jusqu'à ce que ses forces s'épuisaient.Il les retrouvait et il les redéployait pour recommencer de plus belle avec des cris plus robustes, plus obstinés. Justement comme un bébé, je pleurais. Des cris m'assaillaient de l'intérieur. Mes forces ne s'essouflaient pas comme celles de bébé mais mon âme se fanait et mourrait à petit feu.
La forme physique d'un jeune dans la jeune vingtaine était claire, immaculée aux yeux de spectateurs mais mon âme était vieillissante, une âme exténuée par la solitude et la douleur de l'exil.
Au dernier jour barré sur le calepin, c'était comme si j'avais une lourdeur imposante sur ma poitrine. La dernière (+) avait insufflé une nouvelle vie en moi. Elle m'avait murmuré à l'oreille:Youssef, sois ravis!. Réjouis de la bonne nouvelle. Demain, tu quitteras!
J'avais saisi le calepin. Je l'avais embrassé. Il en était devenu rouge sous mes baisers malgré l'écriture bleuâtre. Un élan de folie s'était emparé de moi. J'avais l'allégresse de cette jeune fille que ramenait un cortège nuptial vers son promis. J'étais aussi un peu fou, affolé, ne se contentant pas de m'immobiliser dans une seule place! .La joie s'était répandue dans mes veines comme l'aurait fait un feu dans un foin bien sec. J'étais en transe. Je ne sentais plus mon esprit ni mon âme lesquels dansaient en communion parfaite. L'âme, meurtrie d'habitude et en complète léthargie, traversait la classe-logis à l'heure qu'il est en courant dans tous les coins. Elle était vive et agile. Elle sautillait inlassablement, sans aucune fatigue qui se pointerait à l'horizon. Elle touchait toutes les choses, tous les pupitres, tous les murs. On dirait qu'elle voulait dire adieu à tout un chacun. Aucun obstacle ne pouvait la freiner. Elle survolait la classe comme un frêle papillon.
Cette joie hystérique ne me quittait guère. J'étais comme un débile, un fou, un mehboul, quelqu'un maudit par la démence. Je me parlais. Je m'adressais d'interminables monologues. J'étais l'expéditeur et le destinataire de ma propre parole.
Dans mon esprit, tourbillonnait une kyrielle d'idées qui envahissaient ma raison et qui engendraient un chaos au sein de mes profondeurs. Pêle-mêle, je réussissais à les dompter, à les extérioriser d'une façon rationnelle et organisée. Cette maîtrise de mon esprit m'avait permis de jouer plusieurs rôles. J'étais un acteur multidisciplinaire. J'avais une multitude de facettes. À chaque rôle, je modulais mon intonation, je la transformais, je la modifiais, je l'adaptais au point que mes muscles laryngal et pharyngal furent abîmés et incapables de tout mouvement. Je n'avais fermé l'oeil. Je m'étais réveillé où je m'étais exactement redressé le matin. J'avais pris ma malette et j'avais déguerpi.
C'était un vendredi, cette journée où la prodigieuse "transit" "rampait" en direction de douar. Quand je l'avais aperçue, elle m'avait semblé très différente. J'avais le coup de foudre. Je succombais à son charme. Elle avait des jambes limpides à la couleur du lait. Elle chaussait des chaussures au talon noir si élevé. Son corps "drapé" en blanc paraissait immaculé comme une robe de mariée élégante et raffinée, d'une beauté splendide. Ses fenêtres lui servaient de lunettes lesquelles ne ressemblaient guère à celles du directeur dont le regard était si sévère .
En arpentant la crête, elle m'avait adressé un clin d'oeil grâce à ces phares. C'était une sensation merveilleuse. Pour la première fois, je me sentais plus imposant que la montagne. Oui, j'étais plus fort que la montagne. C'était moi le maître et non elle!.Je l'avais escaladée avec une aisance généreuse. Je lorgnais l'école d'un dernier regard. C'était un regard qui s'apitoyait sur son sort et qui la toisait à la fois. J'avais écourté les adieux puis j'avais embrassé ma bien-aimée, si espérée comme un messie, si désirée comme un ange.
La route si sinueuse et si inclinée ne m'avait guère fatigué. Elle était, certes pleine de pierres et de "nids de poule", non c'était des "nids d'autruche" mais je lui avais accordée aucune attention particulière . Elle était si accidentée que nous nous attendions à de mauvaises surprises comme un soldat devrait appréhender des guet-apens ou un poltron, des coupe-gorges. Je n'étais en aucun cas impressionné par la route. Au contraire, la "transit" était pour moi un train. Un formidable train qui sert de jouet à un enfant ravi par le cadeau de papa. L'enfant mettait le train sur les rails déposés sur le tapis. Il avait un malin plaisir pour nous détourner par d'infinies courbes. C'était sa façon d'étaler son habileté et son savoir-faire. Tout était arrangé pour nous convaincre qu'il était un conducteur hors-pair. Il nous poussait lentement sur les rails.Ils nous arrêtait parce qu'une mouche l'avait piqué sur les sourcils de ses yeux endormis. Il la pourchassait sans que sa poignée nous lâche alors que nous étions au point d'être renvoyés vers l'abîme. Puis, il continuait sa route et son manège tandis que la vilaine mouche revenait à la charge pour reprendre son "sale boulot".La scène se "défaisait" et se "refaisait" comme le calvaire de Sisyphe.
En arrivant au centre, soit la route goudronnée, mon cellulaire s'était ressuscité. Il etait revenu à la vie. Enfin le réseau était là!.J'avais cherché un café pour le recharger et recharger mon estomac.Tous les deux, nous avions un besoin urgent d'être regarnis! . Je n'avais pas trouvé mieux que le "café de Mohammad".Il était un gars sympa, ce Mohamaad, gentil et serviable. On dirait ,il avait comme devise :le serviteur des hommes est leur maître. Je lui avais "remis" mon cel et il m'avait "remis* un "berrad" de thé (une théière spécifique aux amateurs de thé à la menthe marocaine. En général, ce n'est pas tout le monde qui a le don pour préparer du thé et ordinairement, ce sont des hommes qui en ont la spécialisation et dans un groupe, il y a un seul qui prépare le thé! (NdT) et une assiette de l'huile de terroir (l'huile "beldiya" est une gage de qualité et d'authenticité et elle a un goût très estimé par les connaisseurs) (NdT) accompagnée d'une tranche de fromage. J'avais déshabillé "la" fromage et je l'avais noyée dans l'assiete(je trouve que le terme "déshabillé" a une connotation érotique.le manque d'érotisme est l'autre visage de la vie difficile imposée aux enseignants par des affectations arbitraires. En général, les instituteurs sont envoyés dés la fleur de l'âge dans des régions très reculées. Cela constitue un frein pour toute vie sentimentale et amoureuse. Ces malheureux gardaient dans leur memoire l'image d'une femme souvent aimée d'un seul côté comme une relique qui revient par épisodes comme un oracle. Pour ne pas tomber dans la langue de bois, ces gens vivent un refoulement intense et cela pave la voie pour toutes sortes de psychoses et de malaises psychologiques et il n'est pas invraisemblable que selon les dires d'un neuropsychiatre d'une grande réputation à Marrakech et dont je tais le nom, la majorité de ses clients sont des instueurs) (NdT). Son corps était mouillé par l'huile. Je l'avais pourchassée par un morceau du pain. Je m'en étais emparé d'une partie. Je n'en avais fait qu'une bouchée puis j'avais poursuivi ce qui en restait. Je l'avais effacée de l'existence et j'avais asséché l'assiette. J'avais une de ces faims qui faisaient sortir un loup de son bois.
J'avais réservé une place dans le taxi et j'étais resté dans le café à attendre d'autres voyageurs. Cela devrait prendre une éternité mais je ne m'en souciais guère. Mon âme rengorgeait de vie. Nul ne saurait la faner ni l'ennuyer maintenant qu'elle avait quitté ses chaînes lesquelles l'entravaient là-bas plus haut à Daouabid! .
Le nombre exigé de places avait été atteint mais le conducteur attendait toujours. La cupidité de l'être humain n'a pas de limite. En effet, il s'attendait toujours à récupérer quelques badauds pour garnir un engin qui allait se transformer en une boîte de sardines et au lieu de clients permis, une dizaine de malheureux était entassée dans cet "amas de ferraille" qui marchait à reculons sur la route de Zagora.
Mon âme avait embrassé la vie et de l'allégresse s'était répandue dans mes veines. J'étais comme un réincarné, quelqu'un qui était de retour de l'au-delà. J'allais m'impregner de la chaleur familiale, du berceau maternel. C'était la chaleur des amis, la douceur du sein maternel "retrouve" et réoffert après ce "sevrage" forcé. J'avais savouré tout moment comme une bénédiction, J'avais bu ce verre de ce nectar d'amour mystique jusqu'à la dernière goutte tel un enivré jamais rassasié de l'être bien aimé. Je m'attardais sur chaque geste de tendresse, chaque élan d'affection. Je n'avais jamais autant dégusté de rares moments de bonheur.. C'était un songe fabuleux, fantastique duquel on regrette amèrement le réveil! .
...et comme celui qui avait fermé un sourcil et réouvert, les vacances s'étaient éclipsées. C'était éphémère. Rien ne dure sauf l'Éternel.

À SUIVRE.


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